La bande-son de Mai 68 (2024)

Sommaire

La bande-son de Mai

Les inconnus de Mai

Chansons et disques de la Sorbonne

Dominique Grange et d'autres enragès

Une révolution chez les artistes ?

La métamorphose de Léo Ferré

Les chansons d'après

La nouvelle saison du rock

Le mythe

À lire aussi...

Début d'une nouvelle ère ou fin d'un vieux monde ? Révolution culturelle ou révolte politique ? Ivresse passagère ou fracture historique ? Mai 68 ne marque pas seulement une date majeure de la France contemporaine : c'est aussi un bouquet de débats pour les historiens, les sociologues, les politiciens... et tous les citoyens de ce pays, qu'ils aient ou non l'âge d’avoir été témoins ou acteurs du grand tourbillon de ce printemps-là.

Mai 68 est peut-être, après la Fronde, la Révolution et la Première Guerre mondiale, un des quelques événements de notre histoire dont la trace impacte autant la chanson – celle des rues et celle des transistors, celle qui réagit immédiatement et celle qui explore la mémoire. Explorons ce patrimoine à travers les archives de la Sacem, de la Sorbonne occupée à la nostalgie d’un mois révolutionnaire.

ParBertrand Dicale

Visuel : Musicien de l’Opéra en grève jouant devant la bouche du métro Opéra © Gérard BOUSQUET

Les ondes de 1968 ne sont pas libres. À Paris, les transistors ne captent que des radios plus ou moins directement contrôlées par l’État. Quand la grève paralysera l’ORTF, réduite à des programmes musicaux presque ininterrompus, la musique elle-même restera sous contrôle.

Et, sur les radios périphériques – Europe 1 et RTL –, les tensions avec le ministère de l’Intérieur sont suffisamment attisées par la couverture des événements et de la violence de la répression policière pour que les chansons ne soufflent pas sur les braises. Aussi, la bande-son de Mai 68 est-elle plutôt pop et lègère…

Sur les platines de la Grève

Mai 68 sera l’événement le plus radiophonique de l’histoire contemporaine de la France, la télévision, son matériel lourd, ses délais techniques et son contrôle étatique est totalement distancée.Par ailleurs, jamais on n’a autant écouté la radio en France: 20% des foyers étaient équipés de postes à transistors en 1962 et ils seront plus de 70% en 1969, sans compter que l’équipement en «grosses radios» continue d’augmenter.
Car le pays tout entier colle l’oreille au transistor toute la journée et souvent toute la nuit. Grâce à leurs voitures émettrices, leurs motards et – surtout – le courage de leurs journalistes et techniciens, les radios périphériques inventent le direct sans fin depuis le Quartier Latin ou les divers points chauds de l’actualité. Les grilles de programmes ne pouvant s’en tenir sagement aux jeux, aux chroniques culinaires et aux feuilletons radiophoniques, la musique s’installe sur les ondes entre les longues plages d’information.
Sur les antennes de l’ORTF, en grève du 13 mai au 22 juin, la musique prend la place des programmes habituels. Aussi, peu de chansons sont autant écoutées que les chansons diffusées en Mai 68.

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Les CRS et Joe Dassin

Les charges de CRS sur le boulevard Saint-Michel deviennent si habituelles, si routinières, si rituelles que les badauds assistent tranquillement depuis le trottoir au ballet des forces de l’ordre et des contestataires.Les CRS se mettent à courir, matraque en main, quand soudain l’un d’eux pointe le doigt en tournant la tête vers un gaillard brun dont la haute stature dépasse de la foule des spectateurs. «Eh! les gars, regardez, c’est Joe Dassin!» Alors tous les CRS regardent le chanteur qui est seulement venu là en voisin, puisqu’il habite rue d’Assas. Et la rigueur martiale de leur alignement en prend un coup… Cela fait un peu de répit aux manifestants d’en face.
C’est à de tels signes que l’on se rend compte de sa popularité. Et Siffler sur la colline est la chanson qui transforme Joe Dassin en star, après que son étoile a patiemment monté au firmament du show business depuis quelques années.

Sous les pavés, des tubes

Des sorties qui ne parviennent pas aux disquaires en raison de la paralysie des transports, des chansons inopportunes dans le contexte du moment, des nouveautés oubliées dans la confusion… mais il y a aussi des tubes dans la BO de ces semaines tumultueuses.
Ainsi, la gravité duPetit garçonde Serge Reggiani, arrivé dans le hit parade à la fin avril… Et une poignée de succès pop ou soul anglo-saxons vont prendre de la place sur les ondes:Lady Madonnades Beatles,Nights in White Satindes Moody Blues, (Sittin’ On) The Dock Of The Bayd’Otis Redding,Delilahde Tom Jones,Mrs Robinsonde Simon and Garfunkel, la version d’Eleanor Rigbypar Ray Charles…
Le 7 mai 1968, les amateurs français de soul sont à l’Olympia pour un concert d’Aretha Franklin dont l’enregistrement sortira quelques mois plus tard aux États-Unis sous le titreAretha in Paris. Guirlande de tubes:Respect, I Never Loved A Man (The Way I Love You), Come Back Baby, (I Can’t Get No) Satisfaction
Il semble que la grève ait bloqué la diffusion d’un nouveau 45 tours qui n’apparaîtra qu’à la fin mai chez les disquaires,Think. La chanson sera un des tubes de l’été en France, prolongeant discrètement une partie du message de Mai:«You better think (think) / Think about what you're trying to do to me / Yeah, think (think, think) / Let your mind go, let yourself be free /Oh, freedom (freedom), freedom (freedom)».

Comme d’habitude, en ce mois de mai, des artistes font leurs débuts – des débuts contrariés ou, au contraire, magnifiés par les événements.​​​​​​​ Dans un pays qui tangue, quelques premières notes se font entendre qui, malgré les circonstances, vont marquer les mémoires.

Ainsi, Julien Clerc et Gérard Manset vivent un envol hors norme. Venu de Grèce, le trio Aphrodite’s Child enregistre in extremis Rain and Tears, qui sera une sorte d’hymne de l’après-Mai, dans un son ouaté et rêveur qui poursuit l’enchantement suscité par The Days of Pearly Spencer de David McWilliams.

Sous les pavés, un singulier répertoire de jeunesse et de nouveauté…

Julien Clerc et la Cavalerie

Le jeudi 9 mai, les disquaires placent dans leurs rayons les nouveaux 45 tours de la semaine. Parmi ceux-ci, un disque Odéon-EMI d’un certain Julien Clerc.
Sur la pochette, il figure avec un air grave de jeune romantique dont les cheveux sont joliment indisciplinés et descendent bas sur la nuque. La chanson de la face A, que la maison de disques a indiqué aux radios comme étant sa priorité, commence par quelques notes un peu désordonnées de guitare avant que ne se déploie une ample mélodie que vont peu à peu venir habiter violons et cuivres mais, surtout, une voix au vibrato affirmé:«Quand je vois les motos sauvages / Qui traversent nos villages / Venues de Californie / De Flandres ou bien de Paris / Quand je vois filer les bolides / Les cuirs fauves et les cuivres / Qui traversent le pays / Dans le métal et le bruit / Moi je pense à la cavalerie».
CetteCavaleriene défile pas comme l’attaché de presse d’EMI l’imaginait: les émissions auxquelles doit participer Julien Clerc sont annulées sur les radios périphériques qui commencent à donner la priorité au direct depuis le Quartier Latin, tandis que la grève de l’ORTF emporte celles de France Inter.

La Cavalerien’est pas seulement la première chanson de Julien Clerc qui passe à la radio. Le chanteur, qui a vingt ans depuis le 4 octobre 1967, a composé sur un texte d’Étienne Roda-Gil – bientôt vingt-sept ans – militant anarchiste proche de l’Internationale situationniste et répétiteur d’espagnol à la Sorbonne. Ils se sont rencontrés à L’Écritoire, bistrot en face de l’université, où le jeune chanteur a lancé à la cantonade qu’il cherchait un parolier.
Leur chanson ne bénéficie plus du «plan promo» prévu mais elle passe sur les ondes, avec son élan neuf et son lyrisme adolescent. Roda-Gil voit dans la moto un outil de liberté qui fait écho, par exemple, àHarley Davidsonque Serge Gainsbourg a donné à Brigitte Bardot, fin 1967. Julien Clerc chante:«Un jour je prendrai la route / Vers ailleurs coûte que coûte / Je traverserai la nuit / Pour rejoindre la cavalerie».
Et comment ne pas entendre avec force le dernier couplet:«J'aurai enfin tous les courages / Ce sera mon héritage / Et j'abolirai l'ennui / Dans une nouvelle chevalerie». Roda-Gil ne veut pas seulement abolir l’ennui, mais aussi le vieux monde: il participe aux combats de la nuit du 10 mai, comptant parmi les derniers défenseurs de la barricade de la rue Thouin, près de la Contrescarpe.«Nouvelle chevalerie», dit la chanson…

L'aube sombre de Gérard Manset

Un brouhaha de cordes, une flûte à bec, des bruits d’instruments mélangés à des grondements d’animaux, puis une voix qui clame:«Animal, on est mal / On a le dos couvert d'écailles / On sent la paille / Dans la faille / Et quand on ouvre la porte / Une armée de cloportes / Vous repousse en criant / " Ici, pas de serpent ! "».
Ce 9 mai, Gérard Manset sort son premier 45 tours chez Odéon- EMI et, tout comme Julien Clerc, il voit se vider d’un coup son agenda promotionnel.Animal on est malaurait pourtant besoin d’explications: une poésie à la fois surréaliste et prophétique, une orchestration qui tient autant de la musique contemporaine que de la pop la plus audacieuse.
Le texte est terriblement sarcastique («Animal, on est mal / Et si on ne se conduit pas bien / On revivra peut-être dans la peau d'un humain») et ce sombre Ovni n’est pas massivement diffusé pendant cette période trouble. Mais, fin juin,Animal on est malpointe son museau dans les hit parades. L’épopée underground de Manset commence.

La consolation française de The Days of Pearly Spencer

Aujourd’hui, pour l’industrie de la musique en Grande-Bretagne,The Days of Pearly Spencercompte parmi les cas d’école – un lancement résolument hors cadre qui se retourne contre l’artiste.
Jeune chanteur nord-irlandais, David McWilliams chante la vie d’un clochard avec une acuité bouleversante:«The days of Pearly Spencer / The race is almost run»(«Les jours de Pearly Spencer, la course est presque terminée»). Le refrain a été enregistré au téléphone, depuis la cabine proche du studio, et les arrangements de cordes sont signés de Mike Leander, qui a auparavant travaillé surShe’s Leaving Homedes Beatles ouAs Tears Go Byde Marianne Faithfull.
The Days of Pearly Spencerest soutenu par une énorme campagne de publicité dans la presse et sur les bus londoniens, et massivement diffusé par Radio Caroline, la plus puissante radio pirate émettant depuis la mer du Nord … ce qui entraîne le boycott de la BBC. Dès lors, la chanson n’entre pas dans les charts britanniques mais, lorsque l’orage de Mai commence, elle est n°1 du hit parade français. Gravité, lyrisme, tension: un élément majeur de la bande originale de Mai 68.

Aphrodite's child

Après la folie d’un printemps insurrectionnel, la France se reposera, se consolera ou s’enivrera avec la pop cotonneuse et céleste d’un groupe de jeunes musiciens grecs, Aphrodite’s Child. Demis Roussos, Vangelis Papathanassiou et Lucas Sideras, déjà stars dans leur pays dans deux groupes, ont pris la route de Londres où ils espèrent conquérir une gloire internationale. Ils font étape à Paris en attendant leur visa britannique et enregistrent une chanson neuve,Rain and Tears, juste avant le début de la grève générale, le 13 mai.
La mélodie est construite sur leCanonde Pachelbel, que connaissent tous les apprentis pianistes et tous les familiers de la radio du dimanche matin, et qui vient d’être utilisé pour l’enregistrement à Londres de la chansonOh Lord, Why Lordpar les Pop Tops, groupe espagnol (qui plus tard, enregistrera la première version anglophone deMamy Blue).
La composition de Vangelis a besoin de paroles et la maison de disques fait appel à Boris Bergman, jeune parolier débutant qui a passé une partie de sa jeunesse à Londres. Il écrit rapidement un texte sur une inspiration immédiate: une larme sur la joue d’une jeune fille lisant une lettre dans le métro qui l’amenait dans les locaux de Philips.
Rain and Tearsne peut évidemment être pressé et diffusé dans la France en pleine grève générale. Le 45 tours sort finalement début juin et explose rapidement dans les hit-parades. Il sera à la fois le symbole du retour à la normale et du besoin de poursuivre encore un peu le rêve.Pendant dix semaines, la chanson tient la tête du hit parade et s’impose comme le tube de l’été 1968, avant de devenir un des plus mémorables classiques de la décennie. La France qui s’était révoltée trouve dans cette pop nouvelle une promesse d’avenir radieux; la France qui avait eu peur constate que rien ne s’est tout à fait effondré mais que ce coup de jeune sur Pachelbel est séduisant… Sans que personne n’y ait songé lors de l’élaboration de ce single,Rain and Tearsest sans doute un des seuls consensus français de 1968: entre tradition et modernité, entre classique et pop, entre dépaysem*nt et couleurs familières, c’est une brillante motion de synthèse culturelle.

Ce n’est pas seulement une formule de journaliste ou un slogan gauchiste : Mai 68 fait descendre la parole dans la rue. Dans un Quartier Latin aux chaussées dépavées, mais aussi partout en France dans les cours d’usine, dans les amphithéâtres d’université, sous les préaux de lycées, dans les jardins publics envahis par les grévistes, les mots, les phrases, les discours jaillissent, et ils ne sont pas toujours construits par des orateurs officiels de formations syndicales ou politiques.

Au contraire, c’est une soupape qui s’ouvre et libère tout ce qui ne s’entendait pas jusqu’alors sur les canaux officiels d’une république plus gaulliste que gaullienne, ni dans la logomachie de la gauche « bureaucratique » – c'est-à-dire le Parti communiste et la CGT. Alors on parle, on crie, on chante…

La rue a la parole

Chaque mouvement, chaque sensibilité politique a son rapport particulier à la musique.
Dans les universités parisiennes, on écoute beaucoup Georges Brassens, Jean Ferrat ou Charles Aznavour, mais ce ne sont pas leurs œuvres qui vont se trouver le plus directement en prise avec la tonalité des événements… même si ces artistes suscitent des parodies jaillies des occupations. On chante Avec mon p’tit pavé j’avais l’air d’un con sur l’air deMarinetteou on réécrit le fameuxJe m’voyais déjàpour moquer les espérances de retour à l’ordre du gouvernement – pratique courante en France à chaque grand mouvement collectif.
La chanson est une activité militante spontanée, même si elle n’est pas aussi spectaculairement créative que peut l’être l’affiche qui, notamment à l’Atelier populaire né aux Beaux-arts, connaît une floraison historique.
​​​​​​​Peut-être est-ce parce que la chanson est le plus souvent un art très lié à la personnalité – et même à la personne – de ses créateurs qu’on ne verra pas naître au cours de ces semaines folles des grandes chansons restées dans la mémoire collective, au contraire de certaines périodes fiévreuses de la Révolution française.

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La révélation de Béranger

Un jour de ce mois pendant lequel la rue a toutes les imaginations, un type de trente et un ans voit des étudiants qui rédigent collectivement une chanson, en jetant des phrases à voix haute et en les «essayant» immédiatement. Puis ils écrivent le texte à la craie sur un mur et le font chanter, aussitôt, aux passants.Or cet homme a chanté jadis, dans des hôpitaux et des cours de HLM, devant des usines et sur des places de village. Il avait commencé des études «normales» mais les avait interrompues à seize ans pour entrer comme ouvrier chez Renault en 1953. Certes, son père était militant syndicaliste mais il avait aussi été député et le jeune François Béranger ne voulait pas d’une vie prévisible. Il était monté dans la Roulotte, troupe de théâtre héritière des comédiens de tréteau, du Groupe Octobre de Prévert et du théâtre de Brecht. Quelques années plus tard, la guerre d’Algérie l’avait entraîné loin de là et, après sa démobilisation, il était devenu réalisateur à l’ORTF.
Ce choc sur un trottoir de Mai 68 lui fait sortir sa vieille guitare, son stylo et ses cahiers. François Béranger adhérera en janvier 1970 à la Sacem, et deviendra une des voix les plus fortes de la «contestation» de la décennie qui suit Mai.

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Venue de la variété, la chanteuse Dominique Grange prend fait et cause pour les occupants de la Sorbonne et abandonne une carrière bien tracée pour devenir la voix de la révolte, avec des chansons enregistrées quelques mois après les événements puis dans une vie d’« engagée à perpétuité », selon sa propre expression.

Ses combats et ses chansons vont contribuer à la légende future de Mai 68, comme une curieuse aventure musicale et militante née dans les parages de l’Internationale situationniste.

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Une chanteuse, de mai à septembre

Dominique Grange aurait dû être seulement une artiste de la chanson poétique qui, après que la Rive Gauche eut été supplantée par le raz-de-marée yé-yé, retrouve de nouvelles couleurs dans les années 60.Quelques 45 tours joliment remarqués, quelques années de compagnonnage avec Guy Béart et un talent reconnu d’auteure-compositrice: quand Mai 68 éclate, elle est une artiste de vingt-huit ans pour qui la plume et la guitare ne sont pas des armes – pas encore.
Dans la Sorbonne occupée, elle est entraînée dans l’action par le Comité d’action révolutionnaire culturelle. Dominique Grange chante dans les amphithéâtres ou les usines. Son engagement l’amène même loin de Paris, tant et si bien que, lorsque le travail reprend partout et que les étudiants passent de la grève aux vacances, elle continue à chanter la révolte de Mai de ville en village en Provence, avec pour port d’attache le festival d’Avignon où l’agitation tangue et gronde. Puis elle rentre à Paris en septembre et enregistre un disque révolutionnaire dans son propos et dans son mode de production.

Le festival de Cannes a été interrompu par les cinéastes révoltés avant que la grève ne soit votée sur tous les tournages de films en cours, l’Opéra de Paris est occupé par ses artistes et ses travailleurs…

Mais si la quasi-totalité de l’activité des salles de spectacles de Paris et de province est suspendue, c’est plus par sécurité ou par impossibilité pratique d’ouvrir les portes. Il est vrai que le monde des variétés n’est guère syndicalisé et a toujours été rétif à l’action politique collective.

Alors, en Mai 68, chanteurs et musiciens se posent des questions… mais seulement du bout des lèvres.

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Pas de grève à la Sacem

Depuis le 13 mai, la grève s’étend partout en France. D’abord rétifs, les syndicats emboîtent le pas de «la base» qui vote des dizaines, des centaines, des milliers de grèves «sur le tas», c'est-à-dire avec occupation du lieu de travail.Le dimanche 19, dans l’après-midi, l’ultime dépôt de bus de la RATP encore en activité vote l’occupation. Les salariés de la SNCF ayant eux aussi totalement cessé le travail, les transports en communs sont paralysés. Pourtant, le lundi, la quasi-totalité du personnel de la Sacem est à son poste dans l’immeuble historique du 10, rue Chaptal.
Le mercredi 22, une Assemblée générale statue sur le principe d’une grève. Cadres, agents de maîtrise et employés débattent et se prononcent contre la grève à l'unanimité moins 5 voix.
Néanmoins, dans l’après-midi, le Directeur général rencontre les délégués du personnel et propose, si la grève des transports se poursuit, de fermer la Sacem à partir du lundi 27. Outre l’épuisem*nt de l’essence des salariés qui viennent en voiture, «la Société n'a plus les moyens d'effectuer un travail normal du fait de l'absence de courrier, d'imprimés, feuillets, etc.», note le Conseil d’administration.

Des voix dans le tourbillon

Faire la grève ? Ce n’est pas naturel pour beaucoup d’artistes, qui préfèrent s’engager et chanter pour d’autres raisons que le cachet et la gloire.

De la Sorbonne aux usines en grève, de l’Odéon arraché à la « culture bourgeoise » aux music-halls parisiens occupés, ils sont quelques-uns à plonger dans le grand vacarme fécond de Mai 68. Une expérience étourdissante mais parfois, également, l’élément déclencheur d’une rupture. La Sorbonne est le cœur de Mai 68 pendant les semaines décisives. Tandis que le Comité d'action culturelle révolutionnaire qui y siège devient peu à peu, dans ses propres publications, le Comité révolutionnaire d'action culturelle (CRAC, c’est un acronyme efficace), l’idée s’impose rapidement d’aller ailleurs.Il n’est pas besoin de connaître sur le bout des doigts l’épopée des organisations d’«agit-prop» dans la Russie bolchévique pour avoir envie que les intellectuels – c'est-à-dire étudiants et artistes – tendent la main à la classe ouvrière. Après tout, l’épopée du groupe Octobre animé par Jacques Prévert est encore fraîche dans la mémoire de tous les étudiants libertaires. Des artistes qui appartiennent incontestablement à l’univers de la culture commerciale viennent à la Sorbonne où se croisent leurs offres de service et le désir du Mouvement du 22 mars, des situationnistes et de la sensibilité «spontex», qui sont plutôt majoritaires pendant les premières semaines d’occupation, d’aller à la rencontre des ouvriers.

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Éducation sentimentale dans un embouteillage

Même si l’on se sent proche de la révolte étudiante, on peut en subir quelques inconvénients.Ainsi, le 13 mai, Maxime Le Forestier est-il coincé dans l’embouteillage immense provoqué par les manifestations du premier jour de la grève générale. Mais le jeune homme avait rendez-vous chez Philips pour remettre une maquette au directeur artistique Claude Dejacques.
Depuis deux ans, il travaille avec sa sœur aînée Catherine. Pour leur duo – Cat et Max –, ils ont besoin de chansons et, en 1966, la serveuse d’un café des Puces de Saint-Ouen leur a présenté son fils, qui signe des poèmes du nom de Jean-Pierre Kernoa.
Mais, dans la voiture bloquée, les deux hommes s’ennuient. Maxime a dix-neuf ans et Jean-Pierre en a trente et leur amitié est bien rodée: le premier met en musique les textes que lui donne le second, personnage sensible vivant un peu hors du monde et de toute profession depuis son retour de la guerre d’Algérie. L’un sort sa guitare, l’autre cherche dans ses cahiers. Ils s’arrêtent sur un début de texte: «Ce soir à la brume / Nous irons, ma brune / Cueillir des serments / Cette fleur sauvage / Qui fait des ravages / Dans les cœurs d'enfants»
C’est Éducation sentimentale, d’abord chantée par Cat et Max, qui deviendra en 1972 un des plus mémorables succès du premier album de Maxime Le Forestier.

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Des années après Paris canaille ou Thank You Satan, chansons révoltées et censurées à la radio, Léo Ferré trouve dans l’insurrection du Quartier Latin une inspiration et un nouvel élan, alors qu’il traverse lui-même une grave crise personnelle.

Ayant composé plusieurs chansons qui célèbrent et prolongent Mai 68, il noue une relation singulière avec un public militant, ce qui ne va pas sans malentendus çà et là.

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Révolte et tragédie

La semaine Mai 1968 qui va changer l’histoire de France va aussi bouleverser l’histoire personnelle de Léo Ferré. Le lundi 6, les affrontements entre étudiants et forces de l’ordre au Quartier Latin ont fait près de 600 blessés (dont une moitié de policiers) et donné lieu à 422 interpellations. Les jours suivants, tandis que le plus célèbre quartier universitaire du monde panse ses plaies, la tension monte dans toutes les facultés et lycées de France.Comme des millions de Français, Léo Ferré penche plutôt du côté de la jeunesse révoltée et des gamins qui montent sans ciller à l’assaut des citadelles de la République. Il chantera, dans Paris je ne t’aime plus, créé sur scène en 1969: «Paris du 22 mars et de la délivrance / Oh Paris de Nanterre, Paris de Cohn Bendit / Paris qui s’est levé avec l’intelligence».
Pourtant, il n’a peut-être pas eu conscience, ce jour-là, que quelque chose basculait. Ce 22 mars, il est parti tôt le matin de son château de Pechrigal dans le Lot pour se rendre à Elbeuf en Normandie, pour un récital. Près de sept cents kilomètres décisifs: il ne retournera pas chez lui. Ce n’est pas seulement une séparation d’avec sa femme Madeleine: celle-ci va faire euthanasier plusieurs animaux de l’arche de Noé qu’ils avaient constituée, dont sa chimpanzé Pépée. Mai, pour Ferré, c’est la révolte au cœur de la tragédie.

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En France, tout finit par des chansons, dit un vieil adage. En l’occurrence, après un événement aussi colossal, les plumes courent sur le papier et les artistes entrent en studio : entre enthousiasme et circonspection, entre agacement maquillé et ivresse partagée, la chanson française commente immédiatement Mai 68.

Dès l’été, des 45 tours font écho aux événements historiques qui viennent de se dérouler. Si certains sont en pleine lumière par leur succès ou par leur sens évident, d’autres, semant çà et là des réflexions acides ou exaltées, demandent à être décryptés.

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Charles Aznavour face à la jeunesse

Charles Aznavour n’a pas vécu Mai 68 en direct. Pendant les événements les plus chauds, il était en tournée au Japon puis au Mexique, où les journalistes lui demandaient d’expliquer ce qui se passait à Paris alors que lui-même était frustré de ne pas avoir assez d’informations. À son retour, à la fin du mois de juin, il a le brouillon d’une chanson dans ses bagages.Le 1er juillet, il enregistre Au nom de la jeunesse, qui n’est pas tout entier à la gloire des étudiants en lutte: «Au nom de la jeunesse / Aux saisons des beaux jours / Mes jeunes idées courent / Étaler leurs faiblesses / Au soleil de l'amour / Au nom de la jeunesse / Aux printemps tourmentés / De mes tendres années / Se vautre ma paresse / Dans la fraîche rosée».
Le portrait que dresse Charles Aznavour de la jeunesse de Mai est à la fois rassurant pour les adultes et gentiment complice avec les jeunes – pour ne pas dire paternaliste: «Au nom de la jeunesse / Je ressemble surtout / À un jeune chien fou / Qui sans maître et sans laisse / Veut vivre comme un loup».
In fine, la chanson évacue le politique et explique la révolte par l’âge des révoltés: «Je suis fait de souffrance / Je veux garder encore / Et toujours en mon corps / La grâce de l'enfance / Jusqu'au jour de ma mort / Au nom de la jeunesse / Avant que disparaisse / De ma vie l'âge d'or».

Après Mai, c’est l’été et un curieux frémissem*nt sur les hit parades : la musique anglo-saxonne déferle et, entre grands groupes historiques et one hit wonders, la France jeune semble prolonger l’ivresse sur les tourne-disques. Il ne s’agit pas seulement de changer le monde mais aussi de le vivre – et même de le jouir – différemment.

Au bout du compte, une révolution sensible aux multiples couleurs, soulignée par quelques tubes d’une saison enchantée.

Une année multipolaire

1968 est une année de commencements. Pour l’histoire du rock, c’est l’année des premiers albums de Neil Young, Frank Zappa, Joni Mitchell, Genesis, The Band, James Taylor, Randy Newman, Steppenwolf, Fleetwood Mac, Creedence Clearwater Revival, Free, Jethro Tull...
Certes, il se trouve d’autres années à la fécondité étourdissante dans cette décennie absolument révolutionnaire pour la musique populaire mais il y a incontestablement quelque chose de magique dans ce moment qui voit aussi, au Brésil, les débuts discographiques – et donc potentiellement partagés par le plus grand nombre – de Caetano Veloso et Os Mutantes, ou à Montréal le phénoménalOsstidchoqui rassemble Robert Charlebois, Yvon Deschamps, Louise Forestier, Mouffe et le Quatuor du Nouveau jazz libre du Québec, et qui va bouleverser à jamais la musique populaire dans la Belle Province.
Le plus troublant est peut-être que cette éclosion soit polyphonique, entre pop et folk, blues-rock et rock progressif… Pour le rock, 1968 a plusieurs centres, plusieurs foyers, plusieurs directions. L’injonction délicieuse «jouissez sans entraves», immortalisée par une légendaire photo d’Henri Cartier-Bresson prise rue de Vaugirard, se vérifie dans cette actualité musicale plurielle et extasiée.

Dans les hit parades

Cela fait quelques années que l’on écoute en VO les artistes américains et britanniques. En 1963,I Wanna Hold Your Handpar les Beatles avait moins de succès queLaisse-moi tenir ta mainpar Claude François, mais à partir de l’automne 1964 et d’A Hard Day’s Night,les 45 tours en VO dominent les adaptations françaises.En 1968, le mensuelSalut les copainspublie toujours deux classem*nts: d’abord, cinquante chansons françaises puis, en dessous, quinze «chansons de langue étrangère». Or c’est là que, de plus en plus, vont se jouer les révolutions esthétiques, sensibles ou spirituelles liées à la musique.
D’ailleurs, si on prend le hit parade d’Europe 1, des comparaisons sont parlantes. Le classem*nt du 4 mai, dominé parDalilade Sheila etÀ tout casserde Johnny Hallyday, ne contient que trois chansons en anglais:My Year is a Daydes Irrésistibles,Delilahde Tom Jones etLady Madonnades Beatles. Celui du 13 juillet, avecRain and Tearsd’Aphrodite’s Child,Baby, Come Backdes Equals etMy Year is a Daydes Irrésistibles aux places de tête, ne contient plus que deux chansons en français:Moniade Peter Holm etParle-moi de mon enfanced’Adamo.
Certes, à la même date, le hit parade de France Inter, avecLe Ruisseau de mon enfanced’Adamo en n° 1, ne contient que trois chansons en anglais,Rain and Tearsd’Aphrodite’s Child,Thinkd’Aretha Franklin etJumpin’ Jack Flashumpin’ Jack Flashdes Rolling Stones. Mais un tournant vient d’être pris…

«Jouir sans entraves», c’est manifestement ce qui survient en posant sur des tourne-disques des chansons qui explosent le cadre de ce qui se chante en français.L’idéal hippie, par exemple, circulait déjà en France avecSomebody To Lovede Jefferson Airplane,California Dreamin’des Mamas & the Papas,Mellow Yellowde Donovan ou avecSan Franciscode Scott McKenzie… Cet univers toujours neuf est encore élargi par des chansons qui, venues de plusieurs univers à la fois, proclament toujours un désir de liberté – la liberté de danser en totale liberté avec le jerk, la liberté des stupéfiants avec une mythologie musicale perpétuellement renouvelée, la liberté sentimentale, sensuelle et sexuelle réaffirmée par de nombreuses chansons.
L’été et l’automne 1968, qui laissent les jeunes Français flotter après un baccalauréat allégé, des examens annulés et mille incertitudes quant à la rentrée universitaire, est semé de millions de découvertes individuelles qui mettent en perspective la musique et l’élan de Mai, au-delà de l’obsession d’action des militants politiques –Thinkpar Aretha Franklin,Summertimepar Janis Joplin,Okolona River Bottom Bandde Bobbie Gentry,Here Comes The Judgede Shorty Long,I Heard It Through the Grapevinede Marvin Gaye,On The Road Againde Canned Heat…

Le grand public s’enivre aussi de chansons qui font vibrer des émotions singulières – et notamment celle d’une pop music populaire qui abolit les frontières de race.L’autre vision pop duCanonde Pachelbel,Lord, Why Lorddes Pop Tops, monte ainsi jusqu’en 3e place du hit-parade d’Europe 1 au cours de l’été. Le groupe espagnol, avec son chanteur Phil Trim, né à Trinidad, dans les Antilles anglaises, voit son single voyager dans toute l’Europe. The Equals, quant à eux, envoient depuis LondresBaby Come Back. Deux frères jumeaux nés en Jamaïque au chant et à la basse, un guitariste venu de Guyane britannique et deux Londoniens à la guitare et à la batterie: jusqu’alors, la pop européenne n’a pas connu beaucoup de groupes multiraciaux. Et le plus surprenant est que les Equals soient si britanniques dans leur mélange de pub rock, de pop, de ska et de rock steady.Baby Come Backdéferle sur la France des Prisunic et des campings, du jerk prolétaire et des mange-disques de cité pavillonnaire – 2e place au hit-parade d’Europe 1. Un autre idéal soixante-huitard…

Entre nostalgie et reconstructions de Mai 68. Comme chacun des grands événements de notre histoire, Mai 68 est soumis à des dévaluations et des réévaluations constantes.

Acteurs, témoins, observateurs relisent ou réécrivent ce qui est advenu au cours de ces semaines, notre culture populaire apportant également son regard critique. Car les artistes décrivent des causalités ou résument un esprit en une chanson, transcrivent un parfum, un écho, un signe...

Pour les uns, Mai 68 est le commencement d’un certain « plus jamais comme avant », pour d’autres, il s’agit d’un recommencement que pourraient expliquer à eux seuls l’âge des artères et la fraîcheur des hormones ; pour les uns, il s’agit d’un instant de leurs plus belles années et, pour les autres, d’un épisode que l’on essaie d’habiter par la force de l’imagination. De chanson en chanson, Mai 68 continue.

Les belles de Mai

«Les belles de mai nous portaient de l'eau fraîche / Et lorsque l'eau manquait / Elles se rapprochaient pour qu'on boive à leurs lèvres / Une eau douce et sucrée / Derrière les barricades / En mai rappelle-toi / Elles venaient par trois / Nous faire des œillades / Derrière les barricades / En mai rappelle-toi»: le mythe court déjà en octobre 1968, quand Serge Lama sort l’albumD’aventures en aventures.
La chansonLes Belles de Maifait tournoyer un accordéon virtuose et des violons mutins sur une valse enflammée d’Yves Gilbert –«Les belles de mai, de la rue des Écoles / Au Boulevard Saint-Germain / Rien que pour un baiser ont fait quitter l'école / À des tas de copains».
Certes, on s’est effectivement beaucoup aimé dans les rues enfiévrées et les universités occupées; c’est aussi réduire Mai 68 qu’y voir surtout un grand terrain de chasse amoureux. Mais cela va devenir une tendance, de chanson en chanson…

Georges Moustaki, Nous voulions

«Vous voulions changer le cours de l'histoire / Nous voulions toute la mer à boire / Nous voulions des châteaux en Espagne / Nous voulions rapprocher les montagnes / Nous voulions que nos femmes enfantent / Une humanité différente / Nous voulions des aurores nouvelles / Nous voulions renaître avec elles / L'imagination était au pouvoir / Circulez il n'y a plus rien à voir»: l’imagination est aussi au cœur de ce dont se souvient Georges Moustaki en 1986 dansNous voulions.Chevauchant sa moto sur le trajet, il avait été du premier groupe d’artistes qui étaient allés occuper Bobino et il a aimé passionnément le tourbillon de concerts improvisés et de discussions sans fin de Mai. Mais il sait aussi, presque vingt ans plus tard, combien une bonne partie des idéaux de cette révolution ont fini par être oubliés. D’où les vers doux-amers qui ferment son texte extasié:«Je te chante la chanson que voici / Elle était rangée au fond de ma guitare / Elle m'est revenue en mémoire / L'imagination était au pouvoir / Circulez il n'y a plus rien à voir»

Pierre Bachelet, Vingt ans

Il est significatif que Pierre Bachelet, installé depuis des années dans le succès et la gloire, donne le titre de son album de 1987 à la chanson qui célèbre les vingt ans de Mai 68 en même temps que son propre âge fondateur.
Vingt ansénumère«Les Copains d'abord/ Et les premiers transistors / Sidney Bechet,La p'tite fleur/ Les blues sur le cœur / En ce temps-là les trottoirs / C'était manif et guitare».Lui aussi chante une histoire d’amour sur fond de Mai 68, ramassant à la fois le fracas historique et la libération des esprits et des mœurs:«Et puis y avait le mois d'mai / Qui préparait ses pavés / C'est là qu'on s'est rencontrés / Mouchoir sur le nez / Le monde était à refaire / Et dans ta chambre à Nanterre / C'est justement c'qu'on a fait (…) J'avais vingt ans pour très longtemps / L'amour chantait sa carmagnole / En descendant rue des Écoles / Affiche d'une main, de l'autre le pot d'colle».
​​​​​​​Et il affirme être toujours dans la même rue, le même rêve en tête…

La bande-son de Mai 68 (45)

La bande-son de Mai 68 (46)La bande-son de Mai 68 (47)La bande-son de Mai 68 (48)La bande-son de Mai 68 (49)La bande-son de Mai 68 (50)La bande-son de Mai 68 (51)

Jean-Michel Caradec et la revanche à prendre

«La branche a cru dompter ses feuilles / Mais l'arbre éclate de colère / Ce soir que montent les clameurs / Le vent a des souffles nouveaux / Au royaume de France»: Jean-Michel Caradec, voix douce et guitare arpégeant élégamment, ne commence pas par faire entendre colère et rage.
Pourtant, sa chanson Mai 68 fait claquer des phrases terribles: «Et plus on viole la Sorbonne / Plus Sochaux ressemble à Charonne / Plus Beaujon ressemble à Dachau / Et moins nous courberons le dos / Au royaume de France». C’est Sochaux des usines Peugeot où deux ouvriers sont tués lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, c’est la caserne Beaujon, ancien hôpital où sont rassemblés les centaines d’interpellés des nuits d’émeutes… et le sentiment qu’il y a encore une revanche à prendre en 1974, quand Caradec enregistre cette chanson, déjà interprétée par son ami Maxime Le Forestier, fin 1973, à l’Olympia. Et cela fait une chanson lourde de menaces: «L'automne fera pas de cadeau / Au royaume de France».

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La bande-son de Mai 68 (2024)

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